Compétition – Longs métrages américains
Chaque année la sélection américaine de longs métrages en compétition officielle parcourt les territoires des États-Unis, entre émerveillement, inquiétudes et profondes interrogations. D’une édition à l’autre, la programmation scrute les lignes mouvantes du paysage politique, social et intime d’un pays en constante mutation. Le second mandat de Donald Trump a accéléré la dégradation d’une Amérique déjà fragilisée par la pandémie et des tensions internes.
Réalisés avant l’arrivée du nouveau gouvernement, les films en compétition cette année nous invitent à regarder de plus près la crise identitaire états-unienne amorcée depuis quelques années. Six regards s’y confrontent, chacun à leur manière : par l’introspection, la confrontation à l’histoire, la quête de vérité, l’élan vers un avenir aussi incertain que nécessaire. Qu’ils prennent la forme du rêve ou du cauchemar, ces récits traduisent une volonté d’absorber une réalité troublée. Et bien que ces histoires naissent outre-Atlantique, elles résonnent, car cette mémoire collective, désormais, fait partie de nous.
Comment savoir qui nous sommes aujourd’hui, si nous ne sondons pas le passé ? Avant même que l’histoire ne soit déposée sur le papier, son origine se cache dans l’héritage de l’artiste et dans l’urgence de la raconter. En fiction ou en documentaire, ces récits deviennent une forme de survie.
Perdus dans un monde qui vacille, nos protagonistes choisissent parfois le camouflage comme forme de protection pour échapper à une certaine violence. Dans Queerpanorama, le protagoniste énigmatique adopte l’identité des hommes qu’il a fréquentés la veille tandis que l’héroïne de Bunnylovr entretient les désirs d’inconnus sous les traits d’une « cam girl ». Tous deux cherchent à exister dans un cadre où ils peuvent se voir et être vus, quitte à flirter avec le point de rupture. L’anti-héros de Mad Bills to Pay (or Destiny, dile que no soy malo) croit pouvoir tout réussir. Sur le point de devenir père à 19 ans, sa peur de reproduire le passé paternel l’aveugle, réduisant sa responsabilité à un seul rôle. Dans Dreams in Nightmares, trois amies trentenaires prennent la route à la recherche d’une amie proche disparue. Ce road trip devient un manifeste de la féminité noire et de la diversité queer, porté par la sororité, l’humour et une conscience aiguisée d’elles-mêmes.
Le road trip, motif emblématique du cinéma américain, prend une autre tonalité dans To Use a Mountain où le paysage est mutilé par les décisions politiques de la Loi de 1984 sur la gestion des déchets nucléaires. Une loi qui met en péril l’avenir de centaines de générations, mais aussi la possible destruction de la montagne sacrée, Yucca, site historique des Premières Nations. Lorsque le projet d’ensevelir les déchets nucléaires des 50 États deviendra réalité, que restera-t-il de ces terres sacrées, de cette mémoire déjà effacée par l’Histoire ?
La mémoire vulnérable trouve une place centrale dans Familiar Touch, récit sensible sur l’entrée d’une femme dans le grand âge. Malgré les failles du souvenir, l’amour, la présence et la mémoire partagée permettent encore d’exister ensemble.
Le philosophe hispano-américain George Santayana écrivait : « Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter ». Alors, allons au-delà du simple souvenir, regardons en face les traces sombres laissées par l’histoire, intime comme collective, et cherchons, à travers ces six films, des chemins de réparation, de mémoire vivante et de réconciliation.
Chantal Lian
Responsable des sélections américaines
de Shatara Michelle Ford
Fiction | États-Unis, Angleterre, Taïwan | 2024 | 128 min | Anglais
de Joel Alfonso Vargas
Fiction | États-Unis | 2025 | 101 min | Anglais, Espagnol
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