Cette année, les douze court-métrages américains sélectionnés nous interrogent sur la fonction de la mémoire comme gardien d’un espace intérieur où les images d’une existence passée tente d’aller à la rencontre d’un présent déjà évanescent. Dans ce monde où tout va trop vite, l’existence de nos protagonistes ne tient qu’à un objet, un lieu, ou un être pour tenter de redevenir le sujet de leur histoire.
Le premier programme nous plonge dans le regard d’une jeune femme qui se remémore la moiteur d’un été, le corps d’un voisin, cet obscur objet du désir dans Lollygag de Tij D’oyen, où le moindre geste de l’autre est scruté dans une sensualité infinie. Le corps est aussi observé de près dans le film d’Emory Chao Johnson, To Write From Memory, où la peau épouse la nouvelle identité du protagoniste et se confronte à la dureté d’une mère qui refuse sa transition, s’accrochant désespérément à une image du passé. Idéalisation d’une époque que Zach Weintraub tente de questionner dans Rad Dad où le réalisateur se met en scène avec son bébé dans une tentative de retrouver le temps d’un après-midi son ancien moi. Une exploration que Sara Gunnarsdóttir nous invite à faire dans les mémoires de Pamela Ribon, My Year of Dicks, dans lesquels la jeune femme revient sur ses années de dating infructueuses qui l’amènera progressivement sortir des idées préconçues pour rentrer dans une relation plus saine avec elle-même. Dans Catalog ‘93, Grau Del Grau nous invite à flâner à travers les pages d’un ancien catalogue de mode où existe un monde parfaitement étiqueté pour nous. Mais si nous ne voulions rien de tout cela? Et si nous voulions simplement exister en dehors du cadre établi ? Cricket Arrison a probablement trouvé la solution pour conjurer cette fatalité. Dans Some Day All This Will Be Yours, Cricket laisse un message à l’enfant qu’elle n’aura jamais, dans la maison où elle n’a pas vécue que des jours heureux, elle y dépose un héritage de poussière et s’accorde une vie plus libre.
Le deuxième programme s’ouvre sur un Manhattan déshumanisé où le problème cardiaque de Carol la confronte aux défaillances du système de santé américain dans le film de Sam Shainberg, Endless Sea. De l’autre côté des États-Unis, dans une petite ville d’Oregon, nous retrouvons Cam, en quête d’action dans The Dalles de Angalis Field, où son désir se pose sur un cycliste venu découvrir un endroit secret dont la poésie de l’espace convoque plus qu’un plaisir charnel. Sortir de la routine, Anna ne le peut pas. Bien qu’adulte, elle a besoin de sa mère pour prendre soin d’elle, mais que faire lorsqu’elle retrouve sa mère sans vie? Dans Take Me Home, Liz Sargent met en scène sa sœur dans une situation délicate où la question de la prise en charge d’une personne atteinte de troubles cognitifs nécessite plus qu’un temps de réflexion. Un temps précieux que Meredith Moore tente de préserver grâce au pouvoir des effets spéciaux dans Margie Soudek’s Salt and Pepper Shakers où elle immortalise les salières et poivriers de sa grand-mère, collectées à travers les âges, dans une animation explosive. Tout devient possible avec un peu d’imagination, comme l’existence d’un puma à côté de chez Ramona et Lenny dans Goldilocks de Meryl Jones. Dans ce conte écologique, Meryl nous interpelle sur l’importance de la communication entre les membre de la même famille, l’empathie nécessaire pour faire un avec le monde dans lequel nous vivons. Ce n’est pas Walker qui signerait le contraire dans Breaking Silence de Amy Bench et Annie Silverstein, qui par la force du destin et avec l’aide de sa fille, se bat chaque jour pour faire reconnaitre les droits des détenus sourds et malentendants dans les prisons américaines et faire entendre leur voix.
Chantal Lian, Responsable des sélections américaines
Programme 1
Catalog’93 de Grau del Grau
Lollygag de Tij D’Oyen
My Year of Dicks de Sara Gunnadottir
Rad Dad de Zach Weintraub
Some Day All This Will Be Yours de Cricket Arrison
To Write From Memory d’Emory Chao Johnson
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Programme 2
Breaking Silence de Amy Bench & Annie Silverstein
Endless Sea de Sam Shainberg
Goldilocks de Meryl Jones
Margie Soudek’s Salt and Pepper Shakers de Meredith Moore
Take Me Home de Liz Sargent
The Dalles de Angalis Field