Michèle Stephenson & Joe Brewster

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Joe Brewster & Michèle Stephenson

Le Questionnaire de Proust revu par CEFF

1. Quel est votre salle de cinéma préférée et pourquoi ?
Joe Brewster: Ma salle préférée est BAM, Brooklyn Academy of Music (Académie de Musique de Brooklyn), parce qu’elle est juste en bas de la rue et que c’est mon cinéma indépendant local. Ils ont le meilleur popcorn et la salle est à 5 minutes de chez moi environ. On ne va plus tellement au cinéma, à la maison, il y a Netflix.
Michèle Stephenson: Oui, je pense que BAM est un bon choix, je ne peux pas vraiment penser à autre chose.

2. Votre diatribe cinématographique préférée.
MS: Je l’ai vu très récemment, c’est une scène chez un coiffeur dans le documentaire de 1966 « A Time for Burning » de Bill Jersey et Barbara Connell, où un coiffeur noir débat avec un pasteur épiscopal blanc de la nature toxique de la religion. Il coupe les cheveux d’un enfant donc pendant qu’il parle, les ciseaux volent autours de la tête du garçon, de manière très calme et tranquille mais l’homme blanc sue abondamment, c’est très intense.
JB: Tout film qui vaut le coup d’être vu a une diatribe je pense, une confrontation où le protagoniste essaie de dire la vérité.

3. La mort à l’écran que vous n’oublierez jamais.
JB: On regarde beaucoup la télé donc je dirais « Les Noces Pourpres » de la série « Game of Thrones ». J’aime bien celle-là.
MS: Est-ce que je peux revenir sur celle-là plus tard ? J’essaie de me rappeler de scènes où j’ai pleuré.

4. La première affiche de film sur vos murs.
MS: Je ne me rappelle plus de la première mais celle dont je suis le plus fière est une affiche de « Mother India » [de Mehboob Khan]. Je l’ai eu dans un bazar isolé à Mumbai. Je l’ai toujours dans ma chambre à coucher.
JB: C’était un film que j’ai réalisé: « The Keeper ». Il a 20 ans maintenant mais pour moi ça signifiait que j’étais avec les Grands même si on n’a jamais été parmi les grands. C’était excitant de voir mon nom sur une affiche de film.

5. Le personnage de cinéma à qui vous vous identifiez le plus.
JB: Je pense à Mookie, le personnage joué par Spike Lee dans son film « Do The Right Thing ».
MS: Bien que je ne puisse pas dire que je m’identifie à elle – c’est une icône bien trop grande pour que je ne pense même à me comparer à elle – j’admire Angela Davis, son caractère, son éloquence, son expérience et sa perception du monde. Et ça s’est manifesté récemment en regardant le documentaire « Black Power Mixtape » de Göran Olsson. Il y a des archives exclusives d’elle qui ne font qu’ajouter des couches à sa personnalité et qui ont renforcé mon admiration pour elle.

6. Le regard caméra qui vous a le plus impressionné.
MS: J’aime les interludes de Spike Lee comme dans « Nola Darling n’en fait qu’à sa tête ». Il y a un interlude entre les scènes pendant lequel les mecs parlent de femmes à la caméra, l’un après l’autre, en une ou deux lignes. C’était tellement frai et créatif d’avoir des voix noires dans un film à l’époque. Maintenant c’est vraiment banal à la télévision avec les séries « The Office », « Modern Family » ou « Parks And Recreation »

7. Le film qui vous a le plus fait voyager.

8. Si vous deviez vivre dans un film, ce serait…
JB: C’est la plus intéressante des questions parce que un bon film n’est pas une oasis. L’oasis devient terrifiante, un film d’horreur. Les bons films ont de gros obstacles : est-ce que je veux faire face à ces obstacles dans ma vie ? Pas vraiment. Écoute, je reste ici. Tu veux aller quelque part ?
MS: Je réfléchi à un monde futuriste que j’aimerais explorer mais ces mondes sont toujours des dystopies.
JB: Ceci dit, certains films présentent les personnages de manière intéressante et le personnage principal meurt mais le monde en soi n’est pas si mal. Je me souvient de « Paris is Burning » [de Jennie Livingstone], un documentaire sur le voguing [style de danse urbaine]. C’est pas un monde qui te blesserais. Ça ne me dérangerai pas d’être là bas.
MS: Le monde « d’Orphée Noir » [Marcel Camus], ça ne me dérangerait pas de vivre dans celui là – même si tu ne peux pas échapper à la mort.

9. Le film qui vous a le plus fait peur.
MS: Je pense que « Carrie au bal du diable » [de Brian de Palma] m’a vraiment impressionné. « La nuit des masques » [de John Carpenter] vient en second.
JB: T’es jeune, je me rappelle être allé au cinéma enfant pour voir « L’exorciste » [de William Friedkin].
MS: Je n’étais pas autorisée à aller le voir, je l’ai vu plus tard. « Rosemary’s Baby » [de Roman Polanski] m’a également hérissé les poils. Je ne regarderai pas le remake juste pour éviter d’être dans cet espace et cette atmosphère.
JB: J’ai vu un film intéressant de Luis Bunuel intitulé « L’ange exterminateur » et il m’a vraiment fait peur : c’était un dîner entre amis et les invités sont en discussion, ils vivent leur vie, puis ils réalisent qu’ils ne peuvent pas quitter la pièce. J’aimais bien « The Twilight Zone » quand c’est sorti mais maintenant je ne peux plus regarder la série, elle n’est plus plausible du tout.
MS: Un des premiers films de M. Night Shyamalan, « Sixième Sens » était un chef d’oeuvre.

10. Le film avec lequel vous avez le plus ri.
JB: On a un peu honte de l’admettre mais on aime les « old buddy movies ». Il y en a un récent, français, « Intouchables » [d’Olivier Nakache et Eric Toledano]. Les vieux films avec Richard Pryor et je dirais « Le Shérif est en Prison » de Mel Brooks. Il m’a vraiment plié en deux de rire. Et « Frankenstein Junior » [de Mel Brooks] m’a également parlé.

Michèle Stephenson et Joe Brewster sont mariés et ont deux enfants, Idris et Miles. Stephenson grandit à Haiti avant de fuir la dictature de Papa Doc avec ses parents et d’aller à New York puis au Quebec. Après avoir obtenu son diplôme à l’Université McGill, elle retourne à New York pour étudier le droit à l’Université de Colombia où elle rencontre Brewster, un diplômé de Harvard – et Stanford – en psychiatrie, qui est alors étudiant en communication. Stephenson avait d’abord travaillé dans le domaine du développement international, un monde qui, comme elle s’en rend assez vite compte, ne correspond pas à ces idéaux de changement concret et positif. Tous deux gardent leur travail, pour payer le loyer, les courses et les frais de scolarité tout en faisant des films pendant les 20 années qui suivirent.

Leurs deux premiers longs métrages sont des fictions puis ils se tournent définitivement vers le documentaire. Parmi leurs influences on trouve Raoul Peck, Mira Nair, Marlon Riggs, Claire Denis et Werner Herzog que Brewster se plaît à citer : « On ne peut pas faire de films sans vivre sa vie ». Ken Loach, tout comme Steve James, Heidi Ewing et Rachel Grady, ainsi que les frères Dardenne figurent parmi leur réalisateurs préférés. La discrimination qu’ils ont dû subir étant petits, la famille de Stephenson à New York et au Canada et Brewster à Los Angeles, les conduit à un style très spécifique de documentaire. Leur passion pour le cinéma vérité exige, d’après Brewster « d’être à l’aise dans une situation gênante ».

Leur film American Promise est un documentaire qu’ils ont tourné pendant 13 ans, documentant le parcours de leur fils aîné (Idris) et de son meilleur ami (Seun) de la maternelle à l’entrée à l’université, dans une des écoles privées des plus prestigieuses de New York. Pour les réalisateurs, le cinéma est un moyen de combattre les stéréotypes et les aprioris sur la race, la couleur et la classe sociale. À un moment, dans le film, le jeune Idris demande à son père qui tient la caméra : « Je ne serais pas mieux loti si j’étais blanc ? » Leur film a accompli sa mission, se faisant le point de départ de conversations à travers les États-Unis et au delà, dans des pays comme le Canada et le Royaume-Uni qui considéraient depuis longtemps déjà les questions de race comme étant purement américaines. À la veille de la projection du film en France, ils entendent bien lancer le débat auprès des Français notamment au sujet de la « loi qui interdit d’avoir une telle conversation ». Ils font référence à l’interdiction de publication de toutes statistiques incluant race ou couleur de peau dans un but de prévention du racisme.

Leur film traite aussi bien de l’art d’élever un enfant que du passage à l’âge adulte. Le public, selon ses propres expériences, ressent le film de manières très différentes. Stephenson compare leur œuvre au « test de Rorschach : le sujet interprète librement selon ses propres expériences ». La réaction de certains spectateurs qui trouvent que les réalisateurs font subir aux enfant un examen trop minutieux ne cesse jamais de les déconcerter. « Lorsque vous montrez des enfants noirs en Afrique ou en Inde, c’est normal, mais lorsque vous vous déplacez dans la classe moyenne américaine ça devient un problème ? La vie dans les cités n’est pas la seule réalité des Afro-Américains » relève Brewster. Ils acceptent la critique et la perçoivent comme une réussite : leur but était toujours que le public soutienne les garçons, même s’ils doivent, eux, endosser le masque des ‘méchants’. Stephenson explique : « Ce que les gens ne semblent pas comprendre, c’est que chaque image est dans le film parce qu’on a choisi de l’y mettre, suite à de longues conversations et une première version qui durait 33 heures ».

« Nous savions très tôt que nous devrons être dans le film » explique Brewster, « mais au début, nous faisions surtout des interviews de nous-mêmes. Lorsque les garçons ont eu 12 ans, on a réalisé qu’on devait y aller à fond dans le cinéma vérité. Et une fois que l’on a commencé à se concentrer sur les petites choses, en laissant les cameramen filmer seuls avec une trame grossière de ce que l’on voulait, les résultats étaient époustouflants ». Ils prêtent à leur changement de style, leur succès soudain auprès des bourses artistiques et des sponsors qui permirent au film de poursuivre son élaboration. Ce changement signifiait également qu’ils joueraient un plus grand rôle dans le film en tant que personnages : ils décident alors d’embaucher de jeunes hommes directeurs de la photographie, qui pourraient facilement connecter avec les garçons afin de leur permettre de s’ouvrir plus facilement face à la caméra.

Leur relation avec l’autre famille apparaissant dans le film, les Summers, a évolué au cours des années de réalisation du film : suite à plusieurs moments difficiles qu’ils ont traversé ensemble, ils se considère à présent comme faisant partie de la même famille. Cependant, confiance et amour ont dû être acquis : ils ont travaillé dur à rassurer les Summers que le film n’allait pas représenter leur fils sous un mauvais angle ou l’utiliser comme un faire-valoir. Stephenson et Brewster ont de quoi se rappeler de leurs nombreux souvenirs de ces 13 années : en tant que parents, ils se trouvent constamment face à un rappel de la manière avec laquelle ils ont élevé leurs enfants. « Monter était difficile » admet Stephenson, « on a dû accepter qu’enregistrer quelque chose signifiait que notre mémoire sélective ne pourrait pas le modifier ». Le souvenir le plus cher qu’elle garde de toute cette période, bien qu’il ne fasse pas partie du montage final, est la remise de diplôme de son fils.

Michèle Stephenson et Joe Brewster vivent aujourd’hui à Brooklyn où ils continuent de développer des projets sous leur label « Rada Film Group ».

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